Publié le 23 Novembre 2018

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Rédigé par Collectif Bisontin ELR

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Publié le 22 Novembre 2018

Que nous dit la recherche scientifique derrière tous les discours évangélistes et alarmistes que nous entendons ?

 

Alors que la légalisation du cannabis peut amener son lot de frustrations, plusieurs semblent s'en être fait une opinion. Qu'en est-il vraiment? Que nous dit la recherche scientifique derrière tous les discours évangélistes et alarmistes que nous entendons?

1- «Il est possible d'avoir un monde sans drogue»

Le système de prohibition des drogues, en place depuis maintenant plus de 100 ans, n'a jamais su remplir ses promesses. Il visait à réduire l'offre et la demande des drogues dans le but de minimiser les méfaits et d'augmenter la sécurité du public.

Malheureusement, les drogues s'avèrent aujourd'hui plus disponibles, moins chères et, surtout, plus dangereuses. Dans ce contexte, la guerre contre les drogues pourrait être mieux comprise lorsque nuancée en tant que lutte contre «certaines substances» et contre «certains utilisateurs».

En effet, l'alcool et le tabac (et la caféine) sont aussi des drogues, mais elles bénéficient d'un statut légal. Contrairement à la pensée populaire, ce statut n'est pas corrélé à leur degré de dangerosité.

2- «Le cannabis est une drogue douce»

La distinction entre les drogues «dures» et «douces» n'est pas valide scientifiquement. Dans un article scientifique publié dans The Lancet, une équipe d'experts a classifié les drogues en fonction de leurs méfaits sur l'individu, son entourage et la société.

En tête, nous retrouvons l'alcool, classé devant l'héroïne et le crack. Derrière se retrouvent les substances les moins nocives et celles dont le potentiel de dépendance est le plus faible. Dans cette catégorie, nous y retrouvons les drogues appelées psychédéliques, tels la MDMA (extasy), le LSD et la psilocybine (champignons magiques). Le cannabis se retrouve environ à mi-chemin entre ces différentes substances, derrière le tabac.
 

3- «La consommation de cannabis mène vers les autres drogues»

En s'approvisionnant sur le marché noir, les consommateurs sont exposés à d'autres types de substances illicites. Ils doivent aussi interagir avec des vendeurs, qui n'ont pas nécessairement la santé de l'utilisateur comme priorité.

La légalisation a comme objectif de mettre fin à ces deux types de problèmes: les jeunes de 18 ans et plus achetant du cannabis à la SQDC ne seront ni en contact avec les autres substances illicites ni avec les vendeurs du marché noir.
 

4- «Les jeunes vont consommer davantage avec la légalisation»

Du côté du Colorado, où le cannabis est légal depuis plus longtemps, les chercheurs constatent une diminution de la consommation chez les jeunes. C'est plutôt chez les 50 ans et plus qu'ils observent la principale augmentation.

Cette augmentation peut cependant être expliquée par l'arrivée, dans cette tranche d'âge, de personnes ayant vécu les années 60 et qui étaient déjà ouvertes à la consommation de cannabis.

 

5- «Une augmentation de la consommation de cannabis signifie l'échec de la légalisation»

Les États américains ayant légalisé le cannabis ont observé une augmentation de la consommation dans les cinq premières années suivant la fin de la prohibition. À la suite de cette période, l'effet de nouveauté s'estompe et les chiffrent redescendent.

Une augmentation de l'usage n'est cependant pas nécessairement synonyme d'une consommation problématique. Certains chercheurs parlent d'un effet de transfert. Maintenant que les options s'élargissent, les utilisateurs peuvent faire des choix adaptés aux différentes situations de consommation, réduisant ainsi leurs risques potentiels.

 

6- «Les enfants pourraient manger les fleurs de cannabis»

Au Québec, la production de cannabis à domicile est interdite. Selon la ministre Charlebois, l'une des idées derrière cette interdiction est que les enfants pourraient ingérer des fleurs de cannabis. La réalité n'est cependant pas aussi simple et dénote, selon moi, un certain manque d'information et d'éducation chez nos décideurs publics.

Afin d'obtenir les effets recherchés, le cannabis doit d'abord être séché et ensuite chauffé. En l'absence de chaleur, la fleur de cannabis contient seulement du THCA, un agent non psychoactif. C'est le processus de décarboxylation qui permettra à l'utilisateur de jouir des effets psychoactifs du produit. Ses actions ont donc été guidées avec cette intention manifeste et ne sont pas la conséquence d'un hasard.

 

7- «Ce sont les drogues qui causent le plus de méfaits»

Avec la légalisation et la régulation du cannabis, nous minimisons les deux grands types de méfaits causés par la prohibition: ceux causés par les drogues et ceux causés par la criminalisation. Il va sans dire qu'un passage en prison est souvent plus néfaste pour l'individu que sa consommation passée de drogues. Les méfaits liés à la criminalisation touchent principalement les populations déjà vulnérables et marginalisées. Au Canada, par exemple, les gens qui ont été criminalisés pour des offenses en lien avec le cannabis sont principalement issus des communautés noires et autochtones.

Malheureusement, plusieurs règlements mis en place par les provinces et les municipalités entrent en contradiction avec l'idée de réduire ce type de méfaits. Par exemple, une régulation trop stricte de la consommation dans les lieux publics contribuera à alimenter la stigmatisation des consommateurs et affectera davantage les personnes en situation d'itinérance, ce qui est en opposition avec les objectifs initiaux de la légalisation.

Enfin, bien que la légalisation du cannabis ait été principalement envisagée dans le cadre d'objectifs électoraux (pourquoi légaliser le cannabis alors que nous reconnaissons scientifiquement qu'une grande variété d'autres drogues est moins dangereuse pour la santé et qu'elle demeure illégale?), elle demeure selon moi un pas vers la bonne direction: celle de la décriminalisation de la possession et de l'usage de toutes les drogues.

Ultimement, cela permettra la mise en place de politiques de régulation permettant d'offrir un approvisionnement sécuritaire en produits psychoactifs. Bien que plusieurs se réfèrent à l'expérience du Portugal en matière de décriminalisation, cette idée n'est cependant pas nouvelle.

Déjà en 1970, au Canada, le rapport Le Dain recommandait la décriminalisation de toutes les drogues; une proposition qui avait été en majeure partie ignorée par le gouvernement Trudeau.

Julien Thibault Lévesque, 30/10/2018

quebec.huffingtonpost.ca

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Rédigé par Collectif Bisontin ELR

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Publié le 21 Novembre 2018

Le LSD a 80 ans : de la psychiatrie à la contre-culture américaine

"Entre sa synthétisation par le chimiste suisse Albert Hofmann en 1938 et son interdiction par l’ONU en 1971, le LSD est passé entre les mains des psychiatres du monde entier, de la CIA, mais aussi de grands intellectuels américains.

1938-1943, la découverte

Quand il synthétise pour la première fois cette substance, le 16 novembre 1938, le chimiste suisse Albert Hofmann ne peut soupçonner les retombées culturelles, politiques et médicales de cette découverte. Retour sur quatre-vingts ans d’histoire du LSD, qui n’a pas uniquement été la drogue du Summer of love.

A l’époque, le jeune scientifique du laboratoire Sandoz, à Bâle, travaille sur l’ergot de seigle, un champignon qui s’attaque aux épis de seigle. A la recherche d’une préparation pouvant tonifier le cœur, il se penche sur la diéthylamide de l’acide lysergique (en allemand : Lysergsäurediethylamid, LSD). C’est la 25e substance de l’ergot qu’il synthétise, elle s’appellera « LSD-25 ». Mais les expérimentations faites sur des animaux ne sont pas concluantes et les recherches sont abandonnées.

Cinq ans plus tard, Albert Hofmann reprend ses recherches. Le 16 avril 1943, alors qu’il reproduit du LSD, il doit interrompre son travail et rentrer chez lui. Il se sent agité, a quelques vertiges, entre « dans un étrange état de conscience », comme il le racontera dans le livre d’entretiens paru en 2003, Le LSD et les années psychédéliques. Les effets disparaissent au bout de deux heures.

Supposant en avoir absorbé des fragments par inadvertance (peut-être à travers la peau), le chimiste tente une expérimentation sur lui-même trois jours plus tard. Prenant ses précautions, il n’ingère qu’un quart de milligramme. Une dose qu’il croit infime, mais se révélant extrêmement puissante. « Cinq fois supérieure à la normale », estimera-t-il plus tard. Le Suisse vit une expérience existentielle, une étrange chaleur prend possession de son corps, les couleurs se mélangent aux sons :

« J’avais complètement sous-estimé le pouvoir de cette nouvelle substance et ce fut une expérience dramatique, un indicible “horror trip”. »

Il décide de rentrer chez lui et demande à son assistante de l’accompagner. Le voyage à vélo est éprouvant, comme il le raconte dans son autobiographie éditée en 1979 par la Beckley Foundation, LSD, mon enfant terrible :

« Sur le chemin, mon état a commencé à prendre des proportions inquiétantes. Tout ce qui entrait dans mon champ de vision tremblait et était déformé comme dans un miroir incurvé. J’avais l’impression de ne pas avancer. Pourtant, la laborantine m’a raconté plus tard que nous avions voyagé très rapidement. »

Le premier trip (voyage) sous acide aura ainsi lieu à vélo. Dans la culture populaire, la découverte du LSD-25 est d’ailleurs célébrée par les initiés chaque 19 avril sous le nom de Bicycle Day. Une fois chez lui, l’état psychologique du chimiste empire, il ne parvient plus à s’exprimer clairement, craint une intoxication. « Je sentais mon corps comme mort et, en même temps, j’avais le sentiment angoissant qu’un démon s’était emparé de moi », raconte le chimiste. Quand, quelques heures plus tard, un médecin arrive, il ne lui trouve aucun symptôme anormal, hormis des pupilles dilatées. Le lendemain, Hofmann se souvient de son voyage intérieur dans les moindres détails, avec le sentiment d’être un homme nouveau : « Ma première pensée a été que ce serait très important pour la psychiatrie. »

  • 1947-1953, de la psychiatrie à la CIA

Après plusieurs années d’expérimentations, la firme pharmaceutique Sandoz décide, en 1947, de le distribuer à de nombreux psychiatres, psychologues ou médecins à travers le monde, sous le nom de Delysid. En faisant ressurgir les conflits d’un patient, le produit rend la psychothérapie plus efficace.

Dès le début de la guerre froide avec l’URSS, le gouvernement américain s’intéresse lui aussi de près aux potentiels du LSD. En 1953, la CIA donne naissance au projet secret MK-Ultra, qui aura, entre autres, pour tâche d’étudier les effets de ce puissant hallucinogène. L’agence cherche à savoir comment utiliser les altérations mentales et comportementales entraînées par le LSD comme « une arme inhibante non mortelle contre des ennemis et des adversaires ». Les expérimentations sur des soldats, des civils américains, cambodgiens et vietnamiens ne donnent pas satisfaction. Un chimiste militaire se suicidera même après avoir été drogué à son insu.

  • Années 1960 et drogue récréative

Au moment où la CIA s’en désintéresse, le LSD est détourné en drogue récréative dans les années 1960. Des personnalités américaines relatent publiquement leurs expériences. Dans une interview publiée dans le magazine américain Look en 1959, l’acteur Cary Grant confie pratiquer la psychothérapie sous acide et assure avoir atteint la « vraie paix intérieure et la connaissance de soi ». Comme lui, à Hollywood, l’actrice Betsy Drake (épouse de l’acteur à l’époque) et le réalisateur Sidney Lumet témoignent de leurs révélations vécues lors de ces trips sous surveillance psychiatrique. On dit alors que la substance permet de revivre sa propre naissance.

Rapidement, son usage sort du milieu médical et se popularise dans les milieux intellectuels américains. Au-delà de la contre-culture californienne, il gagne tout le pays, rassemble étudiants, artistes et mouvements anti-establishment.

Ancien professeur de psychologie à Harvard, licencié en 1963 pour avoir expérimenté la drogue avec ses étudiants, Timothy Leary se forge une image de « grand prêtre du LSD » auprès d’une jeunesse en quête de liberté. Comme l’auteur britannique Aldous Huxley, il estime que ces buvards imbibés peuvent « ouvrir les portes de la perception ». Leary en fait quelque chose de religieux, il voue un culte à cet acide capable, selon lui, de changer la société. De leur côté, l’écrivain Ken Kesey et son groupe psychédélique Merry Pranksters (« joyeux lurons ») parcourent les Etats-Unis au volant d’un bus multicolore, invitant le public à communier ensemble sous influence lors de leurs « acid tests ».

  • Fin des années 1960, interdiction et laboratoires clandestins

Les autorités s’agacent de ce prosélytisme alors que le pays est déjà sous tension, dans un contexte de discorde et de contestation sociales. « Tout cela touche une frange de la population américaine plutôt jeune – les baby-boomeurs –, ce qui accroît l’impression de conflit de génération », explique Christian Elcock, historien et auteur d’une thèse sur l’histoire du LSD à New York.


Evoquant un problème sanitaire, les Etats-Unis légifèrent. En 1966, la Californie et le Nevada deviennent les premiers Etats à interdire la production, la vente et l’utilisation de LSD. La France et le Royaume-Uni font de même. En 1968, une loi fédérale américaine rend sa possession illégale dans tous les Etats-Unis. En 1970, sous la présidence de Richard Nixon, la drogue est classée « catégorie 1 », la rangeant de fait dans les « drogues privées d’utilité médicale » et comportant « un important potentiel d’abus ». En 1971, sa catégorisation comme psychotrope illicite par les Nations unies sonne le glas des recherches scientifiques.
 

L’interdiction n’aura pas les effets escomptés : un marché noir se développe. « Jusque dans les années 1970, des groupes psychédéliques comme The Brotherhood of Eternal Love et leurs laboratoires clandestins produiront plusieurs millions de buvards, retrace Christian Elcock. C’est eux qui diffuseront le plus cette drogue aux Etats-Unis, la distribuant parfois gratuitement. » La quantité infime nécessaire pour un trip (la production d’un kilogramme de LSD permet de faire près de 200 millions de doses) rend son étendue très simple.

Mais, au milieu des années 1970, l’héroïne et les amphétamines regagnent le peu de terrain conquis par l’acide. « Des drogues beaucoup plus lucratives que le LSD pour les dealers, puisqu’elles entraînent une addiction physique », fait remarquer Christian Elcock.

Aujourd’hui, une consommation marginale

Si la consommation de LSD a quelque peu ressurgi dans les années 1990 avec l’avènement des raves parties, l’expérimentation de cette substance reste aujourd’hui marginale, estime l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). En 2014, seuls 2,6 % des Français de 18 ans à 64 ans déclaraient en avoir déjà pris au cours de leur vie. De son côté, la recherche scientifique redémarre timidement depuis une dizaine d’années.

De cette drogue qu’il appelait son « enfant terrible », Albert Hofmann regrettera les récupérations politique et spirituelle ayant entraîné son interdiction :

« Il s’agit d’une expérience dangereuse. On ne peut jamais prévoir ce qui va survenir. Il est impossible de savoir si les vécus qui vont émerger de l’inconscient vont être positifs ou négatifs. C’est pour cette raison que les substances hallucinogènes devraient être prises seulement sous le contrôle d’une personne compétente, d’un médecin ou d’un psychiatre. »"

Le LSD et les années psychédéliques, d’Antonio Gnoli et Franco Volpi, (Rivages, 144 pages, 2006).

LSD, mon enfant terrible, d’Albert Hofmann (L’Esprit frappeur, 244 pages, 2003).

Par Romain Geoffroy, Publié le 18 novembre 2018 à 14h00
LE MONDE

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